Sous-titrage : Judd Apatow
Après avoir abordé la question du sous-titrage, je vous parle d’un de mes derniers projets en date qui concerne le producteur américain Judd Apatow. Ou plutôt, trois films qu’il a produits sous son nom : Sans Sarah, rien ne va ! et 5 ans de réflexion de Nicholas Stoller, et Mes Meilleures Amies de Paul Feig. Alors non, je n’ai pas écrit les sous-titres de ces longs-métrages. En revanche, j’ai relu et corrigé ceux des bonus DVD. En effet, c’était la mission confiée par mon client Elephant Films.
Qui est Judd Apatow ?
Judd Apatow est un grand nom de la comédie américaine. Il a ainsi réalisé et produit de nombreux gros succès au Box-office comme :
- 40 ans, toujours puceau (2005), avec Steve Carrell ;
- En Cloque, mode d’emploi (2007), avec Seth Rogen et Katherine Heigl ;
- SuperGrave (2007), avec Johah Hill et Michael Cera.
Au cours de sa carrière, il a été plusieurs fois nommé et récompensé. Il a notamment reçu un Emmy Award pour la série The Ben Still Show (où il a officié en tant que scénariste). La plupart de ses productions cinématographiques récoltent également de bons avis de la presse et des spectateurs.
De quoi parlent les trois films ?
Penchons-nous sur les trois longs-métrages sur lesquels j’ai travaillé dans le cadre de ce projet de sous-titrage.
Sans Sarah, rien ne va ! (2008)
Sans Sarah, rien ne va ! (Forgetting Sarah Marshall en version originale) est réalisé par Nicholas Stoller et sorti en 2008. Au casting figurent notamment Jason Segel, Kristen Bell, Mila Kunis et Russell Brand.
Le film raconte l’histoire de Peter Bretter (Segel), un musicien et compositeur qui se fait larguer par sa petite amie Sarah Marshall (Bell), une actrice de séries télévisées à succès. Peter décide alors de se changer les idées en partant en vacances à Hawaï. Mais sur place, il tombe sur Sarah, accompagnée de son nouveau petit ami, le célèbre musicien Aldus Snow (Brand)…
Remarque : Un spin-off sur le personnage d’Aldus Snow, American Trip (Get Him to the Greek), sortira en 2010. Il sera également réalisé par Nicholas Stoller.
Mes Meilleures Amies (2011)
Mes Meilleures Amies (Bridesmaids) est réalisé par Paul Feig et sorti en 2011. Au casting figurent notamment Kristen Wiig, Maya Rudolph, Rose Byrne et Melissa McCarthy.
Le film raconte l’histoire d’Annie (Wiig), qui enchaîne les coups durs dans la vie. Contrairement à sa meilleure amie Lillian (Rudolph), à qui tout sourit. Quand cette dernière la choisit comme première demoiselle d’honneur à son mariage, Annie se fait une joie de tout organiser. Mais c’est sans compter sur Helen (Byrne), l’amie snobe de Lillian, qui va lui mettre des bâtons dans les roues…
5 ans de réflexion (2012)
5 ans de réflexion (The Five-Year Engagement) est de nouveau réalisé par Nicholas Stoller et est sorti en 2012. Au casting figurent notamment Jason Segel, Emily Blunt, Chris Pratt et Alison Brie.
Le film raconte l’histoire de Tom Solomon (Segel) qui, le soir du Nouvel An, demande sa petite amie Violet Barnes (Blunt) en mariage. Le couple organise rapidement des fiançailles et promet à leur entourage que le mariage suivra peu près. Cependant, dans le cadre de son postdoctorat en psychologie, Violet est mutée dans le Michigan et Tom abandonne tout pour la suivre. La cérémonie est alors reportée…
Le contexte et l’objectif du projet
En juillet dernier, Elephant Films m’ont contacté pour me proposer la révision des bonus DVD de ces films. En effet, ils comptaient sortir à la rentrée scolaire un coffret Blu-ray incluant Sans Sarah, rien ne va !, Mes Meilleures Amies et 5 ans de réflexion en version longue et remastérisée. Vous pouvez d’ailleurs visionner la bande-annonce sur la page Facebook d’Elephant Films.
L’objectif était de recaler les sous-titres. Le nombre d’images par seconde était effectivement de 25 et non plus de 23 (comme sur les DVD et les premiers Blu-ray). De plus, le cas échéant, il fallait vérifier si l’adaptation était bonne. C’est là que je suis intervenu. Quelque part, ça tombait bien, car je voulais regarder ces films depuis leur sortie. Vous vous doutez donc bien que j’ai adoré travailler sur ce nouveau projet !
Le visionnage des films avant celui des bonus DVD
En tant que traductrice ou traducteur, lorsqu’on travaille sur un projet (quel qu’il soit), on a très souvent besoin de contexte. Dans ce cas-ci, par contexte, j’entends le fait de visionner les films avant de plancher sur les bonus DVD. Me concernant, cette méthode m’a bien aidé, dans le sens où ça m’a permis de :
- Savoir quelle histoire racontait chaque film ;
- Comprendre mieux le contenu des bonus DVD à sous-titrer.
Si vous êtes linguiste comme moi, je vous recommande vivement de le faire (quand cela est possible, évidemment). Le mieux est évidemment de visionner le ou les longs-métrages en version originale sous-titrée. Et si vous êtes une ou un client, lui donner toutes les ressources nécessaires permettra à votre prestataire de fournir un travail à la hauteur de vos attentes.
Un exemple concret : Sans Sarah, rien ne va !
En recalant les sous-titres sur les différents bonus DVD, je me suis rendu compte que l’adaptation était souvent moyenne, voire mauvaise. J’ai donc dû effectuer un travail de « réécriture » pour que le sous-titrage soit lisible et fluide. Dans le cas des bonus DVD de Sans Sarah, rien ne va !, il pouvait parfois y avoir des références culturelles. Par conséquent, il a fallu que je les rendre compréhensibles aux yeux du public français.
Pour mieux vous expliquer cela, quoi de mieux qu’un exemple concret ? J’ai ainsi choisi le bonus DVD intitulé Crime Scene: Scene of the Crime, la série fictive dans laquelle joue Sarah Marshall. Il s’agit d’une série policière et juridique parodique, qui s’inspire notamment de New York, unité spéciale.
Je n’ai malheureusement pas trouvé de vidéo sur YouTube. Vous allez donc devoir vous imaginer la scène. Pas de panique : je décrirai la scène en question par écrit. Malgré tout, voici deux vidéos pour vous donner une idée du ton parodique de cette fausse série :
Contexte de la scène
Sarah Marshall et son coéquipier, le détective Hunter Rush, mettent la main sur le criminel qu’ils recherchaient. Ils se retrouvent ensuite dans leur laboratoire pour autopsier le cadavre une strip-teaseuse sauvagement assassinée.
Dialogues originaux en anglais
Voici d’abord la transcription en anglais de la scène. Je décrirai également l’allure et les actions des personnages pour vous aider à visualiser l’ensemble.
- Sarah et Hunter sont en train d’examiner le cadavre de la strip-teaseuse. Ils portent tous deux une blouse bleue et des lunettes de protection. Sarah se met à parler :
- “He took off more than her stripper’s clothes. He took off her skin.” Elle boit son café.
- Hunter lui répond : “Something tells me it wasn’t the lapdance she’s barging for. Can you say ‘tip not included’? Can you say ‘all nude review’?”
- Sarah réagit aux remarques de son collègue : “I can, but she can’t.”
- Sarah continue d’examiner le cadavre, un scalpel à la main : “The bullet entered her brain through her frontal cortex.”
- Elle se tourne vers Hunter pour lui demander : “So how did it exit through the lower right cerebellum?”
- Hunter conclut alors : “Holy Lee Harvey! Can you say ‘Grassy Knoll’? Can you say ‘Warren Commission’? Can you say ‘magic bullet theory’? Can you say ‘David Copperfield’?”
- En réponse, Sarah l’invite à regarder le cadavre de plus près : “Take a look. What do you think?”
- Hunter fait la remarque suivante : “Can you say ‘bad hair day’?”
Si vous remarquez bien, le personnage de Hunter emploie souvent la formule Can you say… pour faire de l’humour ou référence à un fait historique bien connu. Ici, il s’agit de l’assassinat du président John Fitzgerald Kennedy que Hunter mentionne à travers différents termes clés :
- Lee Harvey est l’assassin présumé de Kennedy ;
- Grassy Knoll est le surnom donné à Dealey Plaza, lieu de l’assassinat ;
- La commission Warren (Warren Commission en anglais) a enquêté sur l’assassinat ;
- La théorie de la balle magique ou unique (magic bullet theory en anglais) laisse supposer qu’un seul tireur aurait été impliqué dans cette affaire (si vous souhaitez en savoir plus, cliquez ici).
En outre, Hunter mentionne David Copperfield, le célèbre magicien américain. Hunter y fait référence par rapport à la « balle magique » dont il parle juste avant. Si vous voulez découvrir qui est Copperfield, cliquez là.
Vous l’aurez donc compris : le principal objectif ici est de rendre ces références culturelles intelligibles pour les spectatrices et spectateurs français.
Première adaptation française
À présent, voici les sous-titres français originaux de la scène :
- Sarah Marshall : Il a enlevé plus que ces vêtements de strip-teaseuse. Il lui a arraché la peau.
- Hunter Rush : Ce n’est pas à ce genre de danse contact qu’elle s’attendait, d’après moi. Peut-on dire : « Pourboire non compris » ? Peut-on dire : « Examen à nu » ?
- Sarah Marshall : Je peux, mais pas elle. La balle est entrée dans le cerveau par le cortex frontal. Comment a-t-elle pu sortir par le côté droit du cervelet ?
- Hunter Rush : Nom de Dieu. Peut-on dire : « Tertre herbeux » ? Peut-on dire : « La Commission Warren » ? Peut-on dire : « La théorie de la balle magique » ? Peut-on dire : « David Copperfield » ?
- Sarah Marshall : Regarde. Qu’en penses-tu ?
- Hunter Rush : Peut-on dire : « Coiffure ratée aujourd’hui » ?
Le principal défaut de cette première adaptation est qu’elle est trop littérale. De ce fait, la seconde partie qui concerne Kennedy est notamment inintelligible pour deux raisons :
- « Tertre herbeux », bien que ce soit la traduction correcte de Grassy Knoll, n’a aucun sens ici ;
- « Holy Lee Harvey » a été traduit par « Nom de Dieu ». Au premier abord, c’est une traduction acceptable à cause de “Holy” qui, en anglais, fait directement référence à Dieu. Or, selon moi, on perd complètement le sens initial de ce que Hunter veut dire à Sarah, à savoir que ce meurtre rappelle l’assassinat de Kennedy.
Mon adaptation française
Enfin, voici mes sous-titres après correction :
- Sarah Marshall : Il lui a enlevé plus que ses vêtements. Il lui a arraché la peau.
- Hunter Rush : Ce n’était pas le lap dance pour lequel elle avait signé. Lui a-t-il vraiment filé un pourboire ? Ne l’a-t-il pas examinée à nu, plutôt ?
- Sarah Marshall : Je peux te répondre, contrairement à elle. La balle est entrée dans le cerveau par le cortex frontal. Comment a-t-elle pu sortir par le côté droit du cervelet ?
- Hunter Rush : C’est digne de Lee Harvey. Serait-ce un assassinat à la Kennedy ? Que dirait la Commission Warren ? Parlerait-elle de balle magique ? Est-ce un tour digne de David Copperfield ?
- Sarah Marshall : Vas-y, regarde. Qu’en penses-tu ?
- Hunter Rush : Sa coiffure est un vrai désastre.
Concernant mes choix de traduction :
- Il m’a fallu expliciter l’assassinat de Kennedy en gardant les termes clés comme en version originale (sauf Grassy Knoll) ;
- J’ai également réécrit les répliques sous forme de question pour rester cohérent par rapport à l’anglais. Et comme la première fois, Sarah répond à Hunter par l’affirmative, ce choix de traduction était plus logique selon moi. Cependant, je n’ai pas traduit littéralement Can you say.
- Concernant Grassy Knoll, j’ai préféré mentionner directement Kennedy pour que le public comprenne immédiatement la référence de Hunter à ce sujet.
Mon objectif était donc que le public relie directement les termes clés entre eux pour savoir où le personnage de Hunter veut en venir. Bien entendu, il s’agit d’une traduction parmi tant d’autres.
Remarque : j’ai évidemment appliqué les normes de sous-titrage dans cet exemple :
- Nombre de caractères par seconde ;
- Nombre de caractères par ligne ;
- Nombre de plans entre chaque sous-titre ;
- …
***
Voilà qui conclut cet article. J’espère que vous avez appris de nouvelles choses au sujet du sous-titrage pendant votre lecture. D’ailleurs, je serais curieux de savoir comment vous auriez adapté ce passage. Faites-moi donc part de vos propositions en commentaire pour que nous en débattions.
Sur ce, je vous dis à bientôt pour un nouvel article sur mon blog professionnel !